Tito
L'université Cheikh Anta Diop à Dakar.
Lundi 8 décembre, sur LCI, a la question : « La colonisation est-elle un crime ? » - Édouard Philippe (ex premier ministre de Macron) répond par un « non » net. Un mot, un monde. Ce n'est pas une erreur de langage, c'est une confession politique.
Elle dit l'essentiel : l'Occident n'a jamais vraiment rompu avec le regard qui hiérarchise les vies. Ce regard qui justifie qu'à Gaza, on pulvérise des familles au nom de la « légitime défense ». Ce regard qui tolère le bain de sang à l'Est du Congo au profit des intérêts miniers occidentaux. Ce regard qui fait des génocides coloniaux une « part d'histoire » - non un crime contre l'Humanité.
La machine à oublier
Comment en est-on arrivé là ? Par un long travail d'amnésie.
Un effacement orchestré, méthodique, qui transforme la barbarie en civilisation, l'agression en mission, le pillage en progrès.
L'Europe a effacé l'Afrique du récit humain pour mieux se désigner comme centre, mesure et origine.
C'est cette falsification, écrite à l'encre blanche, qui nourrit encore aujourd'hui la banalisation des massacres.
Le philosophe, physicien et historien sénégalais Cheikh Anta Diop a passé sa vie à la démonter.
Pour lui, restituer à l'Afrique sa place d'origine dans l'histoire des sciences et de la pensée n'est pas une coquetterie académique : c'est une entreprise de libération collective.
Un peuple qui ne connaît pas la lumière de son histoire reste prisonnier du récit de son maître.
L'idéologie blanche comme matrice
La suprématie blanche n'est pas un accident du colonialisme. C'est sa grammaire. C'est la manière dont l'Occident structure son rapport au monde : en hiérarchies, en dualismes, en exclusions.
Ce système n'est pas mort ; il continue d'alimenter les politiques de domination économique, les interventions militaires, le narratif médiatique.
Cette architecture idéologique s'appuie sur deux piliers :
- L'appropriation des savoirs africains - mathématiques, cosmologie, médecine, spiritualité - intégrés à la pensée grecque, puis occidentale.
- La négation de leurs origines négro-africaines : le savoir africain devient « superstition », la science européenne devient « raison universelle ».
C'est ainsi qu'on a pu inventer le « miracle grec », mythe fondateur d'une Europe se rêvant l'origine de la lumière. Or, avant Athènes, il y eut Thèbes et Memphis. Avant Aristote, il y eut l'enseignement des temples égyptiens.
Hérodote (-500 ans avant notre ère) l'avouait déjà : l'Afrique fut la première école du monde. On ne parle pas d'emprunt... tous les « pères fondateurs grecs » ont étudié de longues années en Égypte (civilisation négro-africaine).. Comme Pythagore qui étudia 20 ans en Égypte et qui plagiat le théorème qui porte son nom.
Révélation contre filiation
Cheikh Anta Diop situe dans les religions révélées sémitiques - judaïsme, christianisme, islam - une autre rupture décisive : l'effacement de la filiation au profit de la révélation.
Avec elles, la vérité n'émane plus de la maturation collective, mais d'une transcendance descendue d'en haut. Ces architectures théologiques ont requalifié les cosmologies africaines en paganisme, effaçant du même geste la continuité scientifique et spirituelle de l'Afrique antique.
L'Occident a ensuite injecté la racialisation dans ces traditions, les mettant au service de l'impérialisme et du colonialisme.
Sous couvert de Dieu, s'est installée une hiérarchie des vies : l'homme blanc, détenteur du savoir et de la foi, devient juge du monde.
Le vrai « grand remplacement »
Le premier grand remplacement n'a rien à voir avec la fiction paranoïaque d'une Europe assiégée.
C'est celui de l'effacement des civilisations afro-originelles du récit universel.
Ce remplacement-là a vidé l'humanité de sa source, privant la connaissance de sa continuité.
L'Afrique a pourtant enfanté la mesure du temps, la médecine, la sidérurgie, la géométrie, l'organisation de l'État.
L'Égypte pharaonique, fille de cette Afrique fondatrice, fut la traduction monumentale de cette science et de ce savoir ancestral.
Ignorer cette filiation, c'est maintenir tous les peuples sous tutelle de l'idéologie suprématiste blanc. C'est confisquer au monde l'intelligence de ses origines.
Restaurer la vérité africaine : Le premier acte politique
La « falsification blanche » de l'histoire fonde encore aujourd'hui la hiérarchie des causes, des souffrances et des morts.
Elle permet de pleurer Kiev et de détourner les yeux de Gaza.
De s'indigner pour l'Ukraine et d'oublier le Congo.
De dire « plus jamais ça » pour certains et « dommages collatéraux » pour d'autres.
C'est cela, la continuation culturelle du colonialisme.
Restaurer la vérité africaine, c'est remettre le monde à l'endroit.
C'est briser le sortilège de la suprématie blanche qui transforme la domination en normalité.
C'est refuser que la barbarie continue de se travestir en civilisation.
Trois urgences pour sortir de cette falsification originelle :
- Décoloniser la mémoire. Déconstruire la mythologie blanche qui a effacé la contribution fondatrice de l'Afrique à la pensée scientifique et spirituelle. Reconnaître cette filiation est le premier acte d'émancipation - pour les opprimés comme pour les oppresseurs.
- Refonder l'école. Les enseignants doivent être formés à transmettre une histoire réconciliée avec la vérité des origines humaines. L'école ne doit plus reproduire le mensonge, mais restituer la mémoire.
- Relier l'histoire au présent. La falsification du passé africain fut la première « fake news » mondiale. La combattre aujourd'hui, c'est se doter d'un antidote contre les mensonges d'État banalisant sa barbarie à Gaza, au Congo et chez nous envers l'étranger.
Briser cette falsification originelle est une urgence morale, politique, existentielle. Tant que l'histoire officielle restera écrite en blanc, le monde continuera de mourir d'amnésie.
Sources - les livres du professeur Check Anta Diop à lire sans modération
- Nations nègres et culture. De l'Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui ;
- L'Afrique noire précoloniale. Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique noire de l'Antiquité à la formation des États modernes ;
- Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? ;
- Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négro‑africaines ;
- Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance.
